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Lettre de l’Archevêque d’Alger (Colloque international)
Nous publions ci-dessous la copie intégrale de la lettre adressée par l’Archevêque d’Alger, Henri TEISSIER, aux participants du colloque qui s’est tenu à l’université de Bougie du 11 au 13 novembre 2007
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Lettre de l’Archevêque d’Alger, Henri Teissier
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Introduction.
Raymond Lulle naît dans un siècle où les croisades se prolongent et touchent le Maghreb. Mais il naît aussi dans un siècle où les partenaires des deux rives de la Méditerranée chechent à meiux se connaître comme en témoigne entre autres la création du Studium dominicain de Tunis.
Après qu’il fait le choix de consacrer à Dieu toutes ses forces, sa vie tout entière est saisie par la passion d’établir une relation entre les deux rives. Il est clair qu’il veut convertir l’autre, ou la vaincre par l’argumentation. Mais au moins, pour lui, l’autre existe, l’autre est digne d’attention, l’autre mérite que l’on risque sa vie pour lui.
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Raymond Lulle naît à Palma de Majorque deux ans après que Jacques 1er (en 1232)[1] ait repris l’île aux musulmans. Quand Raymond Lulle écrit ses premiers ouvrages (1271) Saint Louis vient de mourir à Tunis en conduisant la VIIIème croisade (1250). Et lorsque la dernière possession franque en Orient, Saint Jean d’Acre, fait retour au domaine de l’islam (1291) Raymond Lulle envoie au pape un traité sur la croisade (1292).
Notre auteur est donc pleinement lié, par l’époque dans laquelle il vit, aux luttes entre chrétiens et musulmans du bassin oriental de la Méditerranée.
Mais il est aussi le contemporain de tentatives toutes différentes, celle de St François d’Assise rencontrant le sultan Al Malik Al Kamil (1219) pour un dialogue pacifique. Il est aussi le contemporain de raymond Marty, le dominicain catalan (1230 – 1284) qui fait partie du Stadium de son ordre à Tunis. Sans parler de la Somme contre les Gentils de Saint Thomas, deux autres dominicains publient des livres sur l’islam à son époque, Guillaume de Tripoli (1220 – 1291) et Ricoldo de Montecroce (1243 – 1320). Ce dernier atteint même Mossoul, Takrit et Bagdad.
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Raymond Lulle illustre donc, à la fois, deux mouvements de son époque, la tentation de conquête par les armes ou par la prédication, et un effort sérieux pour connaître la langue, la culture et la religion de l’autre. Il a ainsi mérité le titre qu’il s’est donné lui-même de Cristianus-arabicus.
Il représente très particulièrement l’Europe méditerranéenne, puisqu’il écrit indifféremment en catalan, en latin, en français ou en arabe . Il vit selon les années à Majorque, à Montpellier, à Paris, à Pise ou à Genève, voir à Messine. Mais il passe la mer et séjourne à deux reprises à Tunis et à Bougie, sans parler de son voyage à Chypre et en Arménie de Cilicie.
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Il n’est pas un modèle pour notre temps, quand il polémique avec les musulmans comme il le fit à Bougie en 1306, et peut-être en 1315. Mais il est signe pour notre époque quand il se passionne pour la rencontre avec l’autre, particulièrement avec son interlocuteur musulman du Sud de la Méditerranée.
A une époque où certains veulent enfermer l’Europe sur elle-même en la coupant des rivages Sud de la méditerranée, Raymond Lulle nous apporte le témoignage passionné de « l’explication » avec l’autre, sinon du dialogue. Il pense avoir trouvé une démonstration définitive qui obligera à se rendre à ses arguments. Et en cela il se trompe. Mais il veut à tout prix convaincre l’Europe qu’il existe au Sud de la Méditerranée des hommes et des croyants dont il faut faire des partenaires, et en cela il a raison.
Le colloque organisé par l’université de Bougie et ses partenaires catalans est un signe fort et particulièrement opportun. On avait dit que le processus de Barcelone, centré sur l’économie, avait oublié le culturel. Bougie et ses partenaires ouvrent un processus qui devra s’élargir dans toutes les directions, partout où les deux rives de la Méditerranée peuvent communiquer, non seulement à partir de l’Espagne ou des Baléares, mais aussi à partir de Gênes, de Sicile ou de Rome – même les papes l’ont fait et Bougie le sait -.
On connaît le Livre du gentil et des trois sages dans lequel chacun des sages apporte les lumières de sa religion, le juif, le chrétien et le musulman. On pourrait retenir en notre temps la conclusion de l’ouvrage. Les trois sages prirent très aimablement et très cordialement congé les uns des autres. Chacun demanda pardon aux autres pour le cas où il aurait prononcé quelques paroles désobligeantes contre leur loi, et chacun pardonna aux autres.[i]
Henri TEISSIER Archevêque d’Alger
[1] Toutes dates sont celles établies par Hugues Didier, Raymond Lulle, biographies, Desclée de Brouwer, 2001, 175 pages.
[i] Raymond LULLE, « le livre du gentil et des trois sages », Sagesse chrétienne, Cerf, 1993, 281 pages.
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