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Lettre de Ahmed Cheniki à quelques personnalités politiques
à Jean-Luc Mélenchon, Dominique de Villepin, Jean-Pierre Chevènement
Par Ahmed Cheniki
Chers Messieurs, votre engagement pour un monde où règneraient la paix et la solidarité entre les peuples est le lieu d’articulation de votre discours politique. C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous interpeller, vous, les dignes représentants de cette France autre, différente, qui ne conjugue nullement le monde aux jeux tragiques des bombes et des massacres. Je suis avec une extrême attention vos déclarations sur la question syrienne, et je ne peux qu’applaudir vos positions allant dans le sens du respect des règles internationales et du rejet de la loi de la jungle.
Le langage guerrier, mensonger et outrancier de la presse et du PS est perçu dans nos sociétés, — encore traumatisées par les traces mémorielles d’effroyables pratiques coloniales et traversées par les marques du mépris de dirigeants locaux trop fascinés par la parole «occidentale» —comme une des manifestations du racisme ordinaire dont est coutumier le PS français dont l’un de ses anciens patrons, François Mitterrand, a ordonné la liquidation par l’usage de la guillotine du premier condamné à mort algérien, Ahmed Zabana, le 19 juin 1956, à la prison Barberousse à Alger. Un de nos écrivains, Malek Haddad, très apprécié par Louis Aragon, disait ceci de la France : «Qu’elle est belle, la France… quand elle ne fait pas de guerre.» Mais, malheureusement, elle y est depuis quelques années en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali et en Syrie. Oui, la France, la belle France de Vallès, de Renoir, de Sartre, de Genet et d’Althusser est carrément insultée par les va-t-en-guerre, médiocres, inhumains, renouant avec le discours colonial, pensant que la peau d’un Arabe ou d’un Africain ne vaut absolument rien, ces peuples, disait déjà Sarkozy à Dakar, ne sont pas encore entrés dans l’Histoire. Il faut, donc, les bombarder, en usant d’un euphémisme tragique «frappe chirurgicale» accolé à un syntagme caractérisé par une extraordinaire immoralité «victimes collatérales», en faisant allusion aux populations civiles. L’humain est mort, le temps de la recolonisation structure la pensée de ces dirigeants qui ne sont pas du tout convaincus de la justesse de leur désir sadique d’en finir avec de pauvres gens, incapables de se défendre. Mais la mémoire est une instance qui conjugue le temps à des confrontations futures et à une accumulation de mauvais actes, pas manqués, mais accomplis.
Faut-il liquider les Arabes et les Africains, déstabiliser leurs sociétés et leurs armées pour en faire des momies, à l’image des pays du Golfe qui usent de leurs pétrodollars pour acheter les consciences en France et ailleurs ? L’ancêtre de la sociologie, le grand Ibn Khaldoun, décrit dans son texte, El Mouqqadima (Introduction à l’Histoire universelle ou Les prolégomènes) la sécheresse et la pauvreté de ces territoires d’Arabie, habités par des gens frustes, souvent sans culture. Les Arabes et les petites gens dans le monde n’oublieront jamais cette position extraordinaire de Jacques Chirac relayée par Dominique de Villepin ou cette démission mémorable du poste de ministre de la défense de J-P. Chevènement, protestant contre l’engagement de la France de Mitterrand dans la guerre contre l’Irak, qui ont montré au monde que la France pouvait être indépendante, au grand plaisir de ceux qui estiment que jamais les guerres ne règleront les problèmes du monde.
En Irak, l’intervention qui a fait plus d’un million de morts continue encore à faire des dizaines de victimes quotidiennes dont personne ne parle aujourd’hui, ce ne sont que des Arabes, en Libye, l’Otan, avec la France, a été à l’origine de la disparition de plus de 40 000 personnes et, aujourd’hui, ce pays connaît une insécurité croissante, divisé en milices semant la mort et la terreur, et déstabilisant le Mali où les milices, à l’époque, armées par le gouvernement français, vont tuer avec des armes françaises des soldats français et constituant une grave menace à la sécurité de l’Algérie. Toute une région est sous le choc de ces massacres en Libye qui vit désormais la peur et la mort au quotidien. C’est la culture de l’ordinaire. En Afghanistan, c’est le désordre mortel et une économie dévastée, dominée par la drogue. Au Mali, les choses ne sont pas encore stables, c’est une simple illusion. En Côte d’Ivoire, les plaies sont encore béantes.
On tue en usant de mensonges pour justifier l’inhumaine liquidation de personnes humaines dont le seul délit est d’être au mauvais moment et au mauvais lieu, à Damas, quand va tomber le missile français ou américain, semant la mort et la terreur. C’est un jeu. On a sorti le mensonge des armes de destruction massive en Irak, puis les «prétendues massacres des populations» pour la Libye et aujourd’hui, en Syrie, on sort l’histoire des attaques chimiques alors qu’il aurait été beaucoup plus indiqué moralement d’attendre les conclusions de la commission d’enquête de l’ONU. Mais, comme de fortes présomptions relayées par les Russes qui auraient les preuves et un grand journaliste américain pèsent sur la responsabilité des «rebelles», on préfère mépriser le secrétaire général de l’ONU, les deux médiateurs, Koffi Annan (poussé à la démission) et Lakhdar Brahimi et même le pape qui a, dans une magistrale supplique, appelé tous les belligérants, mais surtout les Américains et les Français à éviter la solution militaire.
Aujourd’hui, en Syrie, c’est encore des Arabes qu’on veut bombarder, ce ne sont que des infrahumains, ils ne comptent pas, c’est du moins ce que je comprends à la lecture de la presse et du discours politique du PS qui devrait normalement s’occuper de la grave crise économique et sociale d’un pays, la France qui, chaque mois, voit la courbe du chômage croître dramatiquement et le déficit public prendre des volumes inimaginables. Trêve de plaisanterie !
La presse, c’est grave, se drape du treillis du soldat, fonctionnant comme la voix de son maître, illustrant le discours politique du pouvoir en place, peut-être au niveau de la forme, n’ayant aucune différence avec les médias nord-coréens qu’on attaque souvent, d’ailleurs, sans un travail sérieux d’investigation. Une insulte au grand Albert Londres. J’ai beaucoup apprécié la lettre de Jean-François Kahn au journal Le Monde, désormais otage du monde des affaires, incarné par le trio à la tête de ce média qui est devenu médiocre, extrêmement médiocre, à la traîne. Quand la presse française se décidera-t-elle à faire du journalisme, à vérifier ses sources et à écouter toutes les versions, l’opposition et le régime syrien, en évitant les généralisations, l’usage des jugements de valeur et un jargon raciste ? Ce n’est pas possible, selon moi, d’autant plus qu’elle est prisonnière d’un regard péjorant et minorant l’autre, les Arabes, les Africains et à un degré moindre les Asiatiques. Elle est également et surtout prisonnière du monde des finances, incapable de poser les vraies questions, ni de donner des informations vérifiées. Quand on évoque les décisions de ce «machin» (pour reprendre le mot de Charles de Gaulle) qu’on appelle pompeusement la «Ligue arabe» réduite aux positions de l’Arabie Saoudite et du Qatar, on oublie volontairement de parler des positions de trois grands pays arabes, l’Algérie, l’Égypte et l’Irak, sans oublier l’opposition syrienne de l’intérieur, qui rejettent toute intervention militaire extérieure, privilégiant une solution politique tout en demandant aux pays occidentaux de respecter la commission des inspecteurs dépêchés par l’ONU à Damas et les décisions des Nations unies. Cette presse et les partis guerriers parlent souvent de conflit religieux, reproduisant sciemment le discours de l’Arabie Saoudite et du Qatar, oubliant que les choses sont plus complexes et qu’aujourd’hui, dans les sociétés arabes et africaines, meurtries par des décennies de colonisation, marquées par d’effroyables génocides, les conflits sont de type politique. En 2006, le Hizbollah libanais avait été soutenu par les chiites, des sunnites, des communistes et des chrétiens, il y avait autant d’opposants provenant de différents courants religieux et politiques.
Les chercheurs et les journalistes français qui défendent la laïcité quand ça les arrange, en tapant sur les Arabes, les Africains et les musulmans, proposent ici, quand il s’agit des Arabes de catégories mentales dépassées, réduisant les divergences et les différends à des contradictions religieuses. Le langage religieux travaille toute la logorrhée guerrière «occidentale» : la fonction de punir est liée à la volonté divine. On se substitue à Dieu.
Le recours au discours moral préfigure cette propension à sévir, en dehors de toute structure profane, le système des Nations unies. Ce serait extrêmement instructif pour Hollande et les cadres du PS de lire le fabuleux texte de Michel Foucault, Surveiller et Punir qui donne à voir cette propension du monarque absolu à vouloir punir. Ce désir de punir s’inscrit dans une logique carnavalesque, usant du spectaculaire et participant d’une entreprise voyeuriste, cynique et sadique.
Le politique est au cœur du fonctionnement des sociétés arabes et africaines. La lecture saoudienne divisant le «monde arabe» en chiite et en sunnite, unanimement reprise par les chercheurs et les journalistes français n’est nullement opératoire, elle est idéologique. Cette vision relayée par les médias et de nombreux «experts» épouse les contours d’une lecture archaïque, obsolète, dépassée, cherchant à tout prix à mettre en œuvre une sorte de singularité radicale fondée autour d’une bipolarité idéologiquement construite opposant deux «communautés» dans le monde musulman, occultant toutes les transformations sociologiques, installée dans une combinaison plaçant d’un côté les Arabes, les Africains et les musulmans et de l’autre côté, le monde dit «occidental», installés dans un confortable «choc des civilisations», cher à Huntington, Lewis et Fukuyama, d’ailleurs, justement dénoncé par l’auteur de l’ouvrage l’Orientalisme, Edward Saïd.
La presse française a, depuis très longtemps, cherché à écarter toute interrogation des sources et vérification des informations, se satisfaisant d’une seule source et reproduisant souvent le discours officiel, excluant toute parole différente, comme celle des forces de gauche (pas celle du PS qui est devenu un simple ersatz de la droite) ou d’intellectuels comme Alain Badiou ou Edgar Morin. Ce n’est pas sans raison que Georges Marchais avait intimé l’ordre de se taire au journaliste, Jean-Pierre Elkabbach, qui a toujours défendu la parole dominante, marginalisant et péjorant volontairement les autres positions.
Le discours colonial et guerrier du président, de son parti et des Verts et d’une grande partie de la presse française, nourrie d’un vocabulaire puisé dans le champ de la violence et de la mort, est l’héritier de ces entreprises militaires, génocidaires, entreprises en Algérie ou en Syrie par exemple. Après les fameux accords Sykes-Picot en 1920, la France coloniale bombarde, en 1925 durant trois jours, Damas faisant plus de 1 500 morts; une année plus tard, l’aviation fait plus de 5 000 morts et détruit les infrastructures du pays; le 30 mai 1945, les forces militaires tuent 500 personnes. Aujourd’hui, on veut également renouer avec un triste passé de morts et de massacres. L’Histoire bégaie.
Certains ne comprennent pas cette idée simple : les Arabes veulent aussi vivre comme les autres, ne pas subir les régimes dictatoriaux, d’ailleurs, tous ont été soutenus par l’«Occident», ni, bien entendu, les bombardements de ceux qui ne veulent que défendre leurs intérêts inscrits dans une logique géostratégique (l’odeur du pétrole et du gaz ne serait pas étrangère à ce singulier altruisme) et géopolitique, détruisant systématiquement toute trace d’humanité. NOUS VOULONS VIVRE, loin des bruits des bombardements et des bombes.
Nos enfants se mettent à parler de politique et à avoir peur de ce jeu de bombes et de bombardements qui risqueraient de toucher tous les pays arabes, un par un. Est-il moral de parler de morale aujourd’hui ou de punition comme le disait Jules Ferry, un chantre de la répression coloniale et un raciste primaire ? Vous savez, comme moi, que la guerre n’a jamais réglé quoi que ce soit, seule une véritable solution politique, sans condition préalable ni exclusion de quelque partie syrienne que ce soit est à même de résoudre le problème. Les civils qui meurent quotidiennement en Syrie ou ceux en exil n’ont pas besoin de bombardements, mais de véritables pressions pour la paix, comme viennent de le défendre Mélenchon, Chevènement, Villepin, Ban Ki-moon, Brahimi, Blix, l’ancien chef des enquêteurs en Irak. Ils sont lassés des guerres et de la violence.
Les enfants syriens sont, au même titre que leurs camarades européens, amoureux de la vie et marqués par l’innocence. Les Arabes comme les Africains veulent se battre tout seuls pour imposer des pratiques démocratiques, un véritable jeu démocratique dans leur pays, la démocratie ne s’impose pas de l’extérieur. A propos, que veulent-ils, la démocratie ou le néolibéralisme et le profit ? Si on veut nous inculquer la démocratie, il faudrait commencer par écouter ces peuples libres d’Europe et d’Amérique qui ont dit non à l’agression contre ce petit pays, la Syrie, extrêmement contradictoire, mais fragile. La Syrie a besoin de tous les Syriens qui devraient construire une véritable démocratie sur leur propre sol, évitant ainsi d’autres souffrances à leur peuple. Elle est malheureusement devenue le terrain de confrontation des grandes puissances auxquelles s’adjoignent la Turquie qui voudrait vainement récupérer son «empire» perdu, l’Arabie Saoudite et le Qatar, les régimes les plus dictatoriaux de la planète. A qui le tour dans ce jeu de dominos qu’on a appelé outrancièrement «printemps arabe» qui s’inscrit tout simplement dans un nouveau processus colonial, le nouveau Grand Moyen-Orient, un remake des accords Sykes-Picot ? L’Algérie ? L’Égypte ? Un autre pays arabe ou africain ? Est-il normal que des pays étrangers, puissances colonisatrices, exigent des changements de président ou l’imposition de telle ou telle force au pouvoir. C’est cela la démocratie ? Tout commence par un travail de diabolisation souvent marqué par l’usage de mensonges outranciers reprenant la logique de Goebbels et se terminant par la bonne action des Américains, soutenus par les gouvernements européens et leurs esclaves du Golfe qui détruisent infrastructures et personnes humaines. Quel crime ont commis les civils irakiens, libyens, syriens pour subir ces bombardements que nous risquerions de connaître, nous aussi, également, parce que nous sommes tout simplement des amazighs et des «Arabes», donc infrahumains, aux yeux de ceux qui gouvernent le monde car pour ces courageux guerriers de l’«Occident» «démocratique» et civilisateur qui cassent du canon sur des populations désarmées, nous ne comptons pas.
L’économiste Stieglitz et le linguiste Chomsky, intellectuels de grande stature, ont justement montré dans leurs travaux le vrai visage de cet «Occident» capitaliste fonctionnant comme une machine de guerre et de répression et ne respectant nullement les droits élémentaires des individus et des nations dites sous-développées. Nos champions de la «démocratie» ne bombardent que des pays sous-développés, fragiles. Le détournement d’avion du président bolivien, Evo Moralès, le second dans l’Histoire après celui de Ben Bella en 1956, qui est un grave acte de piraterie est significatif des nouvelles mœurs politiques du monde capitaliste «occidental».
La politique devrait renouer avec la morale, comme l’enseignait Platon dans La République et Kant, mais aujourd’hui, le mensonge et l’autoritarisme s’érigent en vecteurs essentiels dans les relations internationales, épousant les contours du discours de Machiavel.
Entre Kant, Platon et Machiavel, l’«Occident» semble avoir choisi Machiavel. Le discrédit de la presse et du monde politique est le résultat de ce choix qui minore le «citoyen» le muant en un simple sujet, ce qui risquerait d’engendrer de tragiques crises.
Autre chose, chers Messieurs, la carte sociologique et politique syrienne est beaucoup plus complexe. Il est vraiment facile et confortable de convoquer des catégories désuètes comme «chiites» et «sunnites» ou confessionnelles pour lire la situation de la Syrie. On parle souvent des Alaouites qui représentent environ 20% de la population, mais qui, contrairement à ce qui est avancé par certains «experts» autoproclamés, ne dominent pas l’échiquier politique, représentant au niveau du pouvoir, pas plus de 15% des postes importants au niveau du pouvoir politique.
Le Premier ministre a toujours été sunnite. Il y a une configuration au niveau des différents postes de pouvoir dont les postes à pourvoir sont calculés prenant en compte la place proportionnelle des différentes communautés composant ce pays qui, il faut le souligner, a toujours été gouverné de manière autoritaire, excluant toute contestation sérieuse, même si des voix reconnues, notamment à l’étranger, se permettaient de critiquer le pouvoir, à l’instar de Saâdallah Wannous et Hanna Minna. C’est vrai que les choses devraient radicalement changer, mais pas au détriment des populations syriennes qui ont droit à la vie, prisonnières d’une guerre qui les meurtrit.
De quel droit voudrait-on punir les populations arabes ? Que gagnerait la France du gouvernement socialiste en tapant sur les Syriens, perdant, du même coup, cette extraordinaire sympathie qu’elle avait glanée auprès des populations arabes et des peuples du monde après le discours de Dominique de Villepin à l’ONU, renouant avec la posture indépendantiste du général de Gaulle ?
Les Arabes ne supportent plus ce sentiment d’insécurité depuis les attaques contre la Somalie, le Soudan, la Libye, la Syrie… Chacun attend son tour. Arabes et Amazighs, de toutes confessions, font la distinction entre cette extraordinaire Amérique incarnée par Faulkner, Hemingway, Miller ou Coppola et cette magnifique France de Jean Renoir, Roland Barthes, Ariane Mnouchkine et Antoine Vitez et les dirigeants guerriers, généralement peu fascinés par les marques de la littérature et de l’humanité, encore moins par leurs peuples qui en ont ras-le-bol de ces guerres qui n’en finissent pas, ne produisant que la haine de l’Autre.
Les écoutera-t-on ? En France, le PS et les Verts veulent éviter ces millions de voix qui disent non à la guerre. Drôle de démocratie ! Comment, dans ces conditions où la mémoire est marquée par la perte de l’Andalousie, les défaites de 1948 et de 1967, l’agression contre le Canal de Suez en 1956, les tragédies coloniales et les dernières escapades de l’Irak, de Libye et de Syrie, l’«Arabe» qui n’est nullement singulier, mais pluriel contrairement à l’imagerie médiatique et littéraire véhiculée par de nombreux auteurs européens et américains, fabriquant leur Arabe (cruel, lâche, fou, peureux, hostile à la démocratie et misogyne) à sa mesure réagit-il à tout ce fatras de situations négatives ? Il est souvent présenté, comme dénué d’Histoire. C’est ainsi qu’étaient décrits les Arabes et les Amazighs dans la littérature coloniale et les discours des politiques.
Meursault dans L’étranger, dans le prolongement de la littérature algérianiste (Randau et Bertrand) tue l’Arabe, d’ailleurs sans identité, indigne d’exister.
Jules Ferry qui a, d’ailleurs, été célébré par François Hollande, au début de son règne, ne disait-il pas à propos de l’Algérie qu’il fallait réduire ce peuple à néant : «Si nous avons le droit d’aller chez ces barbares, c’est parce que nous avons le devoir de les civiliser(…) Il faut non plus les traiter en égaux, mais se placer au point de vue d’une race supérieure qui conquiert»( à la Chambre, en 1884). Son discours est d’actualité. Il faudrait tout simplement substituer au mot «civiliser» le verbe un peu récent, démocratiser, punir.
Cette image de l’Arabe ou de l’Amazigh présenté comme figé, contrastant avec la réalité complexe des sociétés arabes et des relations et des échanges continus entre les cultures, très différentes, vivant des situations tout à fait distinctes, gommant les multiples brassages et les emprunts successifs, travaillant le discours médiatique et littéraire provoque une réaction des intellectuels arabes qui tentent de démonter les mécanismes de ce discours et d’interroger et de déconstruire les espaces épistémologiques européens, perçus comme trop marqués par une suspecte subjectivité et des orientations idéologiques précises héritées du discours des orientalistes ayant accompagné et légitimé la colonisation.
C’est dans ce sens qu’ont travaillé ou travaillent aujourd’hui des gens comme Edward Saïd, les Marocains Abed el Jabiri et Abdellah Laroui, les Algériens Mostefa Lacheraf et Mohamed Arkoun, L’Égyptien Mahmoud Amine el Alem ou le Syrien, Tayeb Tizini et bien d’autres, qui, n’excluant nullement les apports européens, ni le savoir grec, convoquant les savoirs des penseurs de l’âge d’or arabe, proposant une lecture du monde et de l’altérité qui ne serait pas binaire, mais ouverte et nourrie par d’autres savoirs et d’autres traces intellectuelles, tout en déconstruisant les discours critiques européens dont ils ne refusent pas l’hospitalité dans leurs analyses.
Ce discours critique est relayé par la production littéraire et artistique. Ces auteurs, comme d’autres, tendent la main à leurs homologues américains et français et rejettent la logique guerrière, au même titre d‘ailleurs que les peuples «occidentaux». Mais leurs dirigeants sont-ils capables de porter leur voix, c’est-à-dire réagissant en démocrates, démentant cette prophétie de Georges Pompidou qui mettait en garde contre le glissement vers le fascisme des «démocraties» occidentales ?
A voir le mépris affiché envers les institutions internationales par les gouvernements des Etats-Unis et de la France, on a peur pour la démocratie et la sécurité internationale. Cordialement.
A. C.
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