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Du mythe de l’isolat Kabyle
Cahiers d’Etudes Africaines
Etude et essais
par Nedjma Abdelfettah Lalmi
Du mythe de l’isolat kabyle
Résumé
Ce que Charles-Robert Ageron a appelé le « mythe kabyle » n’a pas inventé la singularité kabyle. Il s’en est saisi et l’a fortement réinterprétée. Les besoins idéologiques avérés de la colonisation française ne sont pas seuls en cause. Les « spécialistes » de la Kabylie ont utilisé les grilles de lecture dominantes au xixe siècle, qui regardaient les pays de montagne européens ou autres comme des isolats coupés des voies de la grande Histoire. Entre instrumentalisation consciente et sorte d’ingénuité, les éléments confortant ce modèle ont fait corps et se sont constitués en savoir clos et indiscutable. L’idée-force de ce savoir est que la Kabylie, demeurée sans liens avec les États et les cités, s’est organisée en univers autonome et fermé depuis des temps immémoriaux. Tout effort d’historicisation semble alors vain, particulièrement pour les périodes antérieures à la régence ottomane. Cette vision de la Kabylie est confortée par les études sur les villes souvent envisagées en rupture avec leurs arrière-pays, comme des implants d’origine toujours allochtone, image dans laquelle « l’idéologie citadine », qui se refuse à tout lien avec l’autochtonie, la fait refluer vers le monde rural, surtout montagnard. Partant d’une interrogation sur l’inscription territoriale de la Kabylie dans une histoire de la longue durée, nous essayons de montrer que les découpages motivés idéologiquement dans le passé et dans le présent, ou résultant des effets pervers de démarches savantes visant à isoler leur objet dans sa pureté maximale, ont rendu illisible le processus historique de sa formation.
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Abordant la montagne méditerranéenne, Fernand Braudel (1990 : 39-46) la décrit comme « le refuge des libertés, des démocraties et des “républiques” paysannes [où] la vie des bas pays et des villes pénètre mal… [et] s’infiltre au compte-gouttes ». Il la voit qui « repousse la grande histoire, ses charges aussi bien que ses bénéfices ». Il y lit plus particulièrement une « géographie religieuse à part des univers montagneux, constamment à prendre, à conquérir, à reconquérir ». Mais aussitôt Braudel s’empresse de nuancer ce tableau : « Toutefois la vie se charge, écrit-il, de mêler indéfiniment l’humanité des hauteurs à celle des bas pays. Il n’y a pas, en Méditerranée, de ces montagnes cadenassées […] qui, n’ayant point de communications avec le rez-de-chaussée, doivent se constituer comme autant de mondes autonomes […]. La montagne méditerranéenne s’ouvre aux routes et l’on marche sur ces routes, si escarpées, sinueuses et défoncées qu’elles soient ; elles sont une route de prolongement de la plaine et de sa puissance à travers les hauts pays […]. La vie méditerranéenne est si puissante, en effet, qu’elle fait éclater en de multiples points, les obstacles du relief hostile. »
Comme en écho à ces propos, Jacques-Jawhar Vignet-Zunz (1994 : 201), dans un article sur la production de fukahâ1 dans les montagnes du Rif marocain, commence par mettre en exergue son expérience de terrain dans l’Algérie voisine et une des premières leçons qu’il y reçoit « entre science et politique », à savoir que « la campagne n’est pas un isolat, [qu’] il y a sans cesse des mouvements de retour, qui maintiennent entrouverte la porte entre monde paysan – ou villageois, ou rural, ou tribal même, comme on voudra – et le monde citadin », avant d’expliquer à quel point cela a constitué pour lui, en tant qu’ethnologue « tenté de construire l’identité de l’autre à coups de spécificités et d’irréductibilités, privilégiant la distinction sur la médiation […] un complet renversement de perspective ».
Mais ce renversement en est-il un seulement pour l’ethnologue ou le sociologue travaillant sur le terrain spécifique du citadin ou du rural sur un plan synchronique ? Ne l’est-il pas encore davantage pour l’historien de la rive sud de la Méditerranée ? La brève phrase de Vignet-Zunz (1994) lancée en hommage ou en clin d’œil à l’historien défunt algérien Abderrahim Taleb-Bendiab, « ce n’est pas seulement un phénomène contemporain », appelle une révolution dans les regards sur la relation entre les cités et leurs arrière-pays dans une histoire de la longue durée.
C’est que le consensus, pour tacite qu’il soit, est néanmoins bien enraciné au Maghreb, entre monde savant et monde du commun, sur le caractère fort des frontières entre citadin et rural, montagne et plaine, et encore plus entre montagne et ville, si fort qu’« une barrière sociale, culturelle, s’élève ainsi qui essaie de remplacer la barrière imparfaite de la géographie sans cesse franchie, celle-ci et de mille façons diverses » (Braudel 1990 : 51). Dans certains cas, la barrière est vraiment perçue, présentée ou vécue comme une barrière ethnique.
Il suffit, pour se rendre compte de cette culturalisation ou de cette ethnicisation de la frontière, de regarder comment depuis le xixe siècle au moins s’égrènent à répétition les catégories « Turcs, Arabes, Maures, Juifs » des villes et « Berbères » des montagnes, comme des mondes irrémédiablement irréductibles, liés à des notions de « races » différentes, ou au moins d’« origines » distinctes des populations qui les occupent. Dans la notion de « hadri, beldi » ou autres catégories chères aux élites citadines maghrébines (Sidi Boumédiène 1998 : 25-38)2, l’excellence qui génère l’aptitude à l’urbanité ou, à l’inverse, l’aptitude à l’urbanité qui génère l’excellence est forcément fondée sur l’affirmation d’une origine ethnique allochtone de ses acteurs3. Les spécialistes du monde urbain épousent le plus souvent ce regard, notamment lorsqu’ils sont eux-mêmes originaires des médinas, perpétuant une vision orientalisante, qui donnerait plus de « noblesse » à l’objet « ville maghrébine ».
De leur côté, ceux qui s’intéressent aux « mondes berbères » ou les ruralistes de façon générale ne démentent nullement ce partage commode des territoires qui permet « d’isoler » plus facilement son objet. Quant aux élites berbères contemporaines, elles peuvent, elles aussi, trouver leur compte dans cette vision qui conforte un aussi grand désir « d’insularisation », de distinction radicale, que celui des élites citadines ; cela quitte à sacrifier « l’excellence » pour « l’authenticité » ou à fonder l’excellence sur des notions comme le « nif » ou sens de l’honneur, qui à son tour ne trouverait pas sa place dans le cadre citadin4.
Il résulte de l’interaction entre ces visions, une distribution et une orientation des notions d’ouverture et d’enfermement ou d’isolement, qui ne manquent pas de dogmatisme. L’ouverture n’est qu’exceptionnellement envisagée dans le rapport de l’urbain vers le rural ou inversement, mais seulement comme mettant en rapport l’interurbain, les cités prestigieuses entre elles, ou l’urbain avec différentes échelles de l’universel (telle cité historique avec le nord de la Méditerranée, avec l’Orient, etc.).
Pour mesurer les effets du renversement suggéré par Vignet-Zunz, l’exemple de la Kabylie, qu’on pourrait a priori voir comme cas extrême, nous a semblé des plus pertinents. Ayant travaillé au milieu des années 1990 sur la notion de « conflit de mémoire » dans la ville de Béjaïa (la « madînat at-târîkh »5 algérienne) entre citadins réputés « arabes » et néo-citadins réputés « berbères de Kabylie », et sur leurs usages de catégories issues de l’Histoire dans la négociation de leurs identités dans la ville (Abdelfettah Lalmi : 2000), nous nous trouvons particulièrement fondée à tenter de « tordre le cou aux évidences », selon le mot de Pierre Bourdieu.
Mais où se trouve la Kabylie ?
La Kabylie terre de l’oralité, de la tiédeur religieuse, de l’absence séculaire de liens avec un État quelconque, des républiques villageoises, du droit coutumier et des célèbres assemblées démocratiques, de l’exhérédation des femmes, cet isolat qui aurait sauvé sa pureté originelle, cette terre si familière, où se trouve-t-elle ?
En posant cette question, il s’agit moins pour nous de sacrifier à des conventions pédagogiques, que de tenter de mettre le doigt sur les effets d’une illusion de connaître produite par un apparent surinvestissement6 de la Kabylie par les sciences humaines et essentiellement par l’ethnologie7. Les biais causés par cette impression de familiarité qui dispense de questions apparemment trop élémentaires, sont d’autant plus renforcés que de nombreux travaux portant sur cette région de l’Algérie s’appuient sur des documents de seconde main, et de nombreux auteurs peuvent avoir une fréquentation très sommaire du terrain.
Le problème de la définition du territoire kabyle, de ce qui est entendu physiquement par la Kabylie, ne se pose pas seulement pour le chercheur. La question a autant de réalité pour l’observateur extérieur que pour le regard inter-kabyle. Nous n’en voulons pour preuve que la surprise face à l’arrivée au devant de la scène, lors de ce qui a été appelé « le printemps noir »8, de sous-régions, dont le mouvement de revendication identitaire de Kabylie avait fait son deuil, les considérant comme perdues pour la cause berbère9.
C’est que la Kabylie n’a jamais constitué, en tant que telle, un territoire clairement défini, sauf pendant la guerre d’indépendance nationale algérienne (1954-1962). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en effet seulement durant cette période, que le fln/aln a donné corps pour la première fois à un territoire administratif kabyle (la wilaya 3). Une fois au pouvoir, au lendemain de l’indépendance, il enterrera ce découpage, la cohésion escomptée dans le combat anti-colonial (aussi bien en Kabylie que dans les autres régions du pays), devenant une source d’inquiétude pour le jeune État national.
Autre paradoxe, tout au long des 132 ans de colonisation française (1830-1962), si le projet d’un département kabyle a bien été envisagé, le passage à l’acte n’a jamais eu lieu, et pour cause. Le découpage et même le morcellement de la Kabylie obéissaient à des nécessités politiques évidentes : jusqu’en 1865, longtemps après la prise d’Alger (1830) et celle de Béjaïa (ex-Bougie, 1833), on pouvait encore recenser des expéditions visant à une pacification effective de la Kabylie. Après cela et au bout d’une bien courte récréation, le pays s’embrasait de nouveau au moment de la célèbre insurrection de 1871. Mythe kabyle (Ageron 1960, 1973, 1976 ; Mahé 2001 ; Kaddache 1972 ; Hachi 1983) ou pas, c’est le choix d’une politique pragmatique de dispersion des forces et de déstructuration qui a primé.
Si le découpage en deux ensembles, Grande et Petite Kabylie, ou Haute et Basse Kabylie, date de cette époque où deux arrondissements sont créés autour de la nouvelle ville de Tizi Ouzou au nord et de la ville historique de Béjaïa au nord-est de l’Algérie, il faut bien voir qu’il ne constitue qu’un perfectionnement d’un système de quadrillage préexistant et qu’il se fait dans une certaine continuité avec l’héritage ottoman. Sous le règne ottoman, les régions correspondant à la Kabylie du Djurdjura et à la Kabylie maritime en plus de la ville de Béjaïa relèvent du dey d’Alger, alors que la Kabylie de la Soummam, des Babors, des Bibans et du Guergour relèvent du bey de Constantine.
Le retour à des configurations plus anciennes10 pourrait bien nous montrer ce que l’occultation d’une histoire de la longue durée peut empêcher de voir. Pour l’instant, il nous faut rappeler que le remodelage en cours depuis la deuxième moitié du xixe siècle, motivé par un souci d’efficacité administrative, n’en invoque pas moins des arguments de type culturel ou naturel : communauté du relief montagneux, de la pratique de la langue berbère, de la sédentarité, de l’existence d’une organisation municipale traditionnelle et d’un droit coutumier distinct du droit musulman, etc.
La confusion n’en règne pas moins et n’empêche pas que le souci de la définition de la Kabylie « proprement dite »11 taraude les observateurs du xixe et même du xxe siècle. En 1882, Émile Masqueray (1882 : 206-261), par exemple, s’émeut de la propension à la réduction de la Kabylie. Invitant à relire Carette, il rappelle que « l’on a tendance à restreindre aujourd’hui le sens de “Kabylie” au massif du Djurdjura » et qu’il y a « quarante ans, on désignait par ce nom tout le pays montueux compris entre la mer depuis Dellys jusqu’à l’Oued Agrioun au Nord, les Isser, les Krachna et les Béni Djâd à l’Ouest, les Aoulâd Bellil (Hamza) et les Aoulâd Mokran (Medjana) au Sud, le Guergour et les ‘Amer au Sud-est et à l’Est ».
Mais il est déjà trop tard et il ne faut donc pas s’étonner de voir Georges Yver dans les pages de l’Encyclopédie de l’Islam, commencer par écrire que la Kabylie est certes « la région de l’ensemble du massif montagneux bordant le littoral algérien depuis l’embouchure de l’Isser, jusqu’à la frontière tunisienne », pour finir par décréter que la région du massif du Djurdjura « est la plus étendue, la mieux caractérisée » et que « [c]’est elle qui est désignée communément par Kabylie » (Yver 1927 : 635-641). En toute logique, l’article qu’il signe, intitulé « Kabylie », ne sera donc consacré qu’à cette seule portion de la région.
G. Yver est loin de constituer une exception, et la masse de productions sur la Kabylie jusqu’à nos jours ne porte en majeure partie que sur le massif du Djurdjura, ce qui donne lieu à ce que les linguistes appelleraient une métonymie. En d’autres termes, la partie est étudiée pour le tout, et ce n’est pas sans laisser des biais.
Dans ce choix, le critère de la conservation de la langue berbère ne prime pas, contrairement à ce qu’on pourrait attendre, puisque des régions tout à fait berbérophones sont exclues de cette territorialisation. Ce qui est invoqué, c’est l’idée de pureté. Le Djurdjura est perçu comme le moins corrompu par la proximité ou l’échange avec l’autre, l’Arabe, en tant que langue, hommes et pratiques, ainsi qu’avec l’islam. Il est décrété « conservatoire kabyle », une sorte de réserve symbolique (au sens de la réserve indienne).
Pourtant les enquêtes menées successivement par Hanoteau en 1860 puis par Émile-Félix Gautier et Edmond Doutté (Gautier & Doutté 1913) en 1910 renseignent suffisamment sur la vitalité de la berbérophonie en Petite Kabylie. Pour le Guergour, par exemple, Michel Plault (1946) publie, bien plus tard encore, les résultats d’une enquête démentant les présages pessimistes antérieurs quant à l’avenir de la langue berbère dans cette région. Mais il persiste un certain refus d’entendre qu’il faut essayer de comprendre.
Singularité kabyle et mythe kabyle
Dans ce débat sur le territoire kabyle, ce qui est en question c’est la nature et l’étendue de ce qu’on pourrait appeler une « singularité kabyle », mais aussi, bien sûr, la nature de l’explication historique de celle-ci, qu’on ne peut décemment pas chercher exclusivement dans les effets de la conquête coloniale à partir du xixe siècle et dans ceux du « mythe kabyle »12. Pour exister, le mythe avait besoin d’une base de départ puisée dans le réel.
À notre sens, cette base est à rechercher dans une histoire de la longue durée, et, aussi surprenant que cela puisse paraître, tant le réflexe de la séparation systématique entre fait islamique et fait berbère au Maghreb fonctionne comme une évidence, elle est à rechercher dans le Moyen-Âge musulman et dans l’histoire islamique de la Kabylie. Il nous faut, en effet, retourner à une autre conquête, la conquête arabe, pour tenter de comprendre certains aspects du lent et long processus à l’origine de la singularisation kabyle, à laquelle il faut peut-être rendre sa dimension relative réelle en la replaçant dans le cadre plus large de l’histoire du Maghreb.
L’islamisation du Maghreb s’est accompagnée, comme chacun sait, de son arabisation progressive. Pas plus que pour les monothéismes qui y ont précédé l’islam, pas plus que les langues de beaucoup d’autres territoires islamisés, le berbère ne s’est alors constitué en langue de liturgie. Si ce rôle a pu exister, il a, en tout cas, eu tendance à « s’effilocher ». La langue du vainqueur dont le prestige s’affirmait, par ailleurs, par le rôle véhiculaire d’une brillante civilisation qu’elle tendait à acquérir, devenait un élément central de la sacralité musulmane… et des échanges économiques, de la vie publique.
Cela devait contribuer très fortement à confiner la langue berbère dans des sphères de plus en plus restreintes… et dans une certaine oralité, chez les populations qui en conservaient l’usage. Il y a aussi toutes celles qui allaient l’abandonner, notamment dans les villes où l’arabisation est le fruit d’une politique soutenue et d’un recours à une action missionnaire volontariste.
Au fur et à mesure que les villes maghrébines se développaient et s’arabisaient, leurs arrière-pays étaient désignés comme territoires de « qbaïl »13, c’est-à-dire de tribus. C’est ainsi qu’on peut trouver des qbaïls aussi bien autour de Béjaïa, Jijel, Tlemcen, Koléa, Cherchell, etc. Selon G. Yver (1927), c’est dans le Qirtâs (Ibn Abi Zar’ 1860), que le mot serait apparu pour la première fois comme un désignant ethnique. « Tribalité » et berbérité, ou fait tribal et fait berbère, deviennent alors des quasi-synonymes et dans l’actuelle Kabylie, « qbaïli » (homme de tribu) devient un ethnonyme par lequel les autochtones vont finir par s’auto-désigner. Le rapport universel d’opposition entre ville et campagne va alors se doubler d’une opposition qui va de plus en plus être perçue comme une opposition ethnique Kabyles/Arabes, du fait de l’arabisation progressive des villes.
Au risque d’alourdir quelque peu notre propos, il nous semble important de rappeler des éléments-clés de l’histoire médiévale de ce qui deviendra la Kabylie, rappel indispensable à notre effort d’historicisation. Vues de Kairouan (sud de la Tunisie) et par les premiers acteurs de la conquête arabe et islamique, les montagnes autour de Béjaïa sont appelées « el ‘adua » (l’ennemie) pour leur résistance (Féraud 2001 ; Cambuzat 1986)14. Il court même des explications fantaisistes sur l’origine du toponyme désignant la future cité-État. Béjaïa viendrait du mot arabe Baqâyâ15 (les restes, les survivants), parce qu’elle aurait servi de refuge aux chrétiens et juifs de Constantine et Sétif.
Mais les choses évoluent assez vite et il semble que ce pays difficile d’accès accueille très tôt le prosélytisme chiite fatimide. C’est de cette région que partiront les futurs fondateurs du Caire, les Ketama Senhadja (Dachraoui 1981). L’importance de la célébration de « Taacurt » (l’achourah) en Kabylie serait un lointain témoignage de cette époque tumultueuse.
Les Fatimides s’installent dans l’Égypte, plus centrale et donc plus adaptée à leurs desseins politiques. Leurs vassaux berbères au Maghreb, les Zirides Senhadjas, rompent avec le chiisme et font acte d’allégeance au califat sunnite orthodoxe de Bagdad. En guise de vengeance, les maîtres du Caire envoient les Banû Hilâl au Maghreb, qu’ils leur donnent en « iqtâ’ » (fief).
Sous leur pression, mais aussi, comme l’expliquent Marc Côte (1991) et Abdallah Laroui (1970), sous l’effet de la nouvelle orientation des voies commerciales vers la Méditerranée, une des deux branches vassales des Fatimides, celle des Hammadites, transfère sa capitale du Hodna (hauts-plateaux au sud-est de l’Algérie)16 vers la côte méditerranéenne où elle fonde la ville de Béjaïa sur le site de la ville antique de Saldae.
Parmi les tribus qui occupent l’arrière-pays de cette cité, des sources médiévales, dont Ibn Khaldûn qui a été chambellan auprès des émirs hafsides dans la ville de Béjaïa (Lacoste 1985) et son frère Yahya17 citent les Zouaouas18. La lecture de ces sources par Émile-Félix Gautier (1952), mais aussi par un auteur moins partial et plus récent, le tunisien Salah Baïzig (1997) est édifiante. Elle nous donne à voir une relation « harmonieuse » entre les États berbères musulmans hammadite puis hafside et les tribus des alentours de Béjaïa. E.-F. Gautier parle d’un « royaume kabyle… une des faces du royaume senhadja », l’autre étant l’Ifriqya (actuelle Tunisie). Pour lui, la qualité de cette relation prouve que cet État n’était pas un étranger pour ces tribus, Béjaïa était « leur propre capitale ». Le principe de force de l’État hammadite, écrit-il, était la Kabylie : « Ikdjane, la Kal’a, Achir, Bougie résument l’histoire des Ketama-Senhadja et montrent la Kabylie dans son articulation essentielle. Les trois premiers points jalonnent sa frontière, le dernier marque le cœur. »
Loin de démentir E.-F. Gautier, Robert Brunschvig (1947 : 383) prolonge son affirmation pour les siècles qui suivent la chute de la dynastie hammadite (1152) : « Ne peut-on dire que Bougie a été du xiie au xve siècle la véritable grande cité kabyle au point où se raccordent les deux Kabylies et d’où elles communiquent le plus aisément avec l’extérieur ? Ce rôle de centre urbain, de grand déversoir kabyle, c’est Alger, à l’autre extrémité de la Grande Kabylie qui l’a assumé à partir du xvie siècle, suite à l’intervention turque : du moment où Alger a crû, Bougie a décliné. » Comme Carette, il souligne que la différence sensible entre les deux villes était qu’à Béjaïa, les maîtres étaient des Berbères, des Nord-Africains19.
R. Brunschvig (1940 : 4, n. 2), s’appuyant sur le récit d’Ibn Al Athir (1901), nous montre les Almohades en 1152 obligés, pour prendre Béjaïa, d’affronter une « coalition de Berbères de la contrée ». On retrouvera les Zouaouas et les autres tribus de l’arrière-pays de Béjaïa, aux côtés de la dynastie hafside à chaque fois que ses représentants tenteront de s’autonomiser vis-à-vis de Tunis, mais aussi face aux incursions des Zianides tlemcéniens, des Mérinides fassis ou encore face aux Espagnols de Pedro de Navarro en 1510. Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous d’idéaliser une relation sujets-État. Il s’agit simplement de constater l’existence d’un lien à l’État sur une longue durée (Hammadites, 1065-1152 ; Almohades, 1152-1230 ; Hafsides, 1230-1510, avec des intermèdes majorquin almoravide, tlemcénien zianide, fassi mérinide).
Ce lien ne se rompt pas totalement au moment de la prise de Béjaïa par les Espagnols en 1510 (El Merini 1868 ; Wintzer 1932). Certes, l’État hafside s’éteint au Maghreb central. Mais, d’une part, il ne s’éteint pas à Tunis, avec qui des rapports se maintiennent. D’autre part, naissent à ce moment des seigneuries locales, ce que les Espagnols ont appelé les « royaumes de Labbès, Koukou, Abdeldjebbar ». Le premier s’installe à la Qal’a des Ath ‘Abbès, ses descendants (les Mokrani, ancêtres du célèbre bachagha de l’insurrection de 1871) se transportent plus au sud dans la Medjana, de plus en plus près des lieux de naissance des royaumes ziride et hammadite. Le deuxième s’installe en Grande Kabylie, sur le territoire des Ath el qadi (ou des Belqadi)20, descendants du qadi el qudat21 et fameux biographe sous les Hafsides, Al Ghubrînî. Le dernier, dont sont issus les Ourabah du xixe siècle, s’installe dans la vallée de la Soummam, à une trentaine de kilomètres de Béjaïa.
À titre d’exemple de « traces » ou d’indices du lien entre ces seigneuries et les villes de Tunis ou de Béjaïa, on peut rappeler deux récits, l’un rapporté par Joseph N. Robin (1999 : 42-43) et l’autre par Laurent-Charles Féraud (2001 : 120). Le premier relate la fuite d’une princesse ghubrinie (du royaume de Koukou), le second d’une princesse abbassie (du royaume des Labbès), chacune cherchant à sauver son bébé dans un contexte de crise de succession. Au-delà des similitudes frappantes dans la structure du récit, il nous semble significatif que la première se réfugie à Tunis, la seconde à Béjaïa, ce qui nous semble renseigner sur la survie de relations et de réseaux de solidarité entre la Kabylie et ces deux villes, sièges des États qui ont précédé l’arrivée des Espagnols. Il est en tout cas significatif que ce lien continue à garder une forte charge symbolique.
L’intérêt de cette question n’échappe pas au grand médiéviste Robert Brunschvig. Certes, il ne s’aventure pas à essayer d’y répondre, mais sa lucidité le pousse à affirmer que « le problème se pose pour la Grande et la Petite Kabylie […] de l’existence au xvie siècle des royaumes de Koukou et des Béni Abbas dans des régions où le fractionnement en républiques jalouses de leur indépendance est la règle jusqu’au siècle dernier » (Brunschvig 1941 : 99). Le spécialiste de l’Ifriqya hafside ne manque pas de souligner « le haut intérêt » qu’il y aurait à comprendre « quel régime avait précédé celui des grands chefs regardés comme des monarques, qualifiés de sultans, de rois » (ibid.). La région, rappelle-t-il, a connu d’autres exemples de ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, des chefferies, comme ce cas cité par Ibn Khaldûn de l’exercice du pouvoir chez les Ath Iraten (Grande Kabylie) en 1340 par une femme aidée de ses fils22 (ibid.).
Le recours à la diachronie ne nous permettrait pas seulement d’établir et de comprendre le lien de ces seigneuries locales de la Kabylie avec les villes et les États. Il pourrait aussi nous aider à mieux cerner les relations de ces seigneuries avec les tribus kabyles elles-mêmes, ainsi que les liens entretenus par ces dernières avec les Cités et les États. Ce qu’il nous aiderait à connaître est loin d’être négligeable. On serait alors en mesure effectivement d’interroger la tension que connaissent les Kabyles en tant que communautés rurales luttant pour leur survie entre, d’une part, un combat pour leur autonomie face à l’hégémonisme de ces seigneuries (qui a pu se traduire, par exemple, par des politiques fiscales dues à un appauvrissement particulier (Luxardo 1981), des disputes relatives aux forêts et à leurs richesses (Braudel 1990) et, d’autre part, un soutien à ces mêmes seigneuries face à un État central qui va s’installer avec sa propre logique de « prédation », celui des Turcs ottomans.
Autrement dit, il nous paraît que la rupture avec un État central due à la faillite de ce dernier – l’État hafside disparaît du Maghreb central avec la prise de Béjaïa en 1510 par les Espagnols – peut contribuer à expliquer le développement d’un phénomène qui, à notre connaissance, n’a connu que des études synchroniques d’anthropologues ou de contemporanéistes, à savoir le phénomène des « républiques villageoises » kabyles et de leurs assemblées. Il ne s’agit pas, pour nous, de suggérer une naissance de « Tajmat »23 kabyle à cette époque, mais de nous demander s’il n’y a pas là un tournant dans son histoire. Il nous semble en effet important de rompre avec la vertigineuse illusion de l’immutabilité des formes et des contenus sur ce thème. Nous voyons dans l’interrogation des relations de ce qui deviendra la Kabylie à l’État ou à d’autres formes de centralisation politique avant les États ottoman puis colonial, une possibilité d’historiciser « Tajmat », de la réinsérer dans l’histoire de l’ensemble maghrébin où elle prendrait de la cohérence.
Du « miracle » Rahmânya au « miracle » de l’École française
Sur un tout autre plan, le recours à la diachronie permettrait d’interroger un autre « miracle » que celui des assemblées villageoises, le miracle « Rahmânya », cette célèbre confrérie qui avait déclenché, avec le bachagha Al Mokrani, l’insurrection de 1871 et que les auteurs du xixe siècle, à l’instar de Louis Rinn, surnommaient « l’église kabyle » (Rinn 1884, 1891).
La fondation de la Rahmânya par le saint Sidi Abderrahmane Bouqobrine au xviiie siècle est souvent présentée par les auteurs qui, à juste titre, plaident pour la réhabilitation du religieux dans les études portant sur la Kabylie, comme le moment où cette région entre dans « l’universalité islamique et participe à un vaste mouvement de rénovation religieuse ». Or, cette vision qui, encore une fois, évacue l’histoire pré-ottomane, évacue aussi plusieurs siècles d’histoire religieuse de la Kabylie, et de liens avec les cités, notamment avec la Qal’a des Béni Hammâd, Béjaïa, Mahdya et Tunis à partir du Moyen-Âge. D’une certaine façon, elle prolonge elle aussi l’idée de l’isolat duquel la Kabylie serait sortie par l’action miraculeuse d’un seul homme, à son retour d’Orient… Elle conforte, en tout cas, l’idée d’une naissance excessivement tardive à la religion islamique.
On peut supposer que ce grossissement du fait Rahmânya est dû à son rôle au xixe siècle et à la « médiatisation » qui s’en est alors suivie. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’approuver le scepticisme de Sami Bargaoui quant à ce « mystère de la relative imperméabilité d’une société pourtant musulmane, à tout message “exogène” et notamment à celui des confréries mystiques qui ont envahi le Maghreb dès l’époque médiévale » (Bargaoui 1999 : 249).
Les faits plaident, en effet, pour l’explication du « miracle » en question par l’existence d’un terreau multi-séculaire. Le plus saillant de ces faits est le séjour et l’enseignement à Béjaïa pendant plus de trente ans (1166-1198) de l’homme qui introduit le soufisme au Maghreb, l’andalou Abu Madyan Chou’aïb, connu sous le nom de Sidi Boumédiène24. Des gens comme Ibn Arabi s’y rendent et en témoignent (Dermenghem 1981) et Sidi Boumédiène lui-même rend hommage à « cette grande cité maritime où se coudoyaient Kabyles et Espagnols »25 (Brunschvig 1947). La plupart des saints patrons des cités maghrébines, représentatifs de cette rénovation qui marie malékisme et soufisme, tendance inaugurée par Sidi Boumédiène, ont au moins fait un séjour d’étude ou d’enseignement dans cette ville (ceux de Tlemcen, Marrakech, Tunis, Alger, Miliana, Tripoli…). Ceux qui n’y font pas de séjour avéré, affirment s’y être transportés en songe. Le prestige de la ville est tellement important que cela en devient presque un rite de passage. Il n’est pas jusqu’au cheikh Benalioua, fondateur de la ‘Alawiya au xxe siècle, qui ne perpétue l’usage.
Avant Sidi Boumédiène, c’est dans cette ville que la rencontre entre le Mehdi Ibn Tumert et le futur calife almohade Abdelmumène a lieu, ce qui fait dire à Boulifa (1925), que c’est dans le passage tumultueux du Mehdi qu’il faut situer les débuts du prosélytisme islamique en Kabylie. Boulifa rappelle qu’Ibn Tumert poursuivi par le sultan hammadite à Béjaïa trouve refuge dans la montagne kabyle et signale les traces de ce passage dans la toponymie et l’onomastique kabyles.
La montagne kabyle elle-même envoie ses ‘ulamas se former et professer, participer à l’encadrement des villes de Béjaïa et de Tunis en particulier : le fils d’Al Ghubrînî est mufti à Tunis, Abu Ar-Rûh Al Menguellâtî, cadi à Gabès… sans parler de ceux qui jouent un rôle actif dans les débats et réformes de l’islam maghrébin, dans la diffusion de textes qui deviendront des références centrales au Maghreb, comme le Mukhtassar d’Ibn Hâjib : (Al Menguellâtî, Al Mechdallî, Al Waghlîssî etc.). Dans la ville de Béjaïa, Abû Yahiâ Zakaryâ, (connu sous le nom de Sidi Yahia) à qui Ibn ‘Arabî consacre une notice élogieuse, après l’avoir rencontré, vient du pays zouaoua en Grande Kabylie26.
Enfin, en ce même xviiie siècle où naissait la Rahmânya, comme le rappelle Sami Bargaoui, le chadhélite Al Warthilânî (1908) écrivait sa fameuse Rihla, où il relatait qu’avant de se rendre à La Mecque, il avait fait son pèlerinage du Ramadan à Béjaïa, surnommée La Petite Mecque, en quête de « Ribât ». Al Warthilânî accomplissait ainsi un pèlerinage très populaire, qui ne perdra de son importance qu’au xxe siècle, à en juger par la description qu’en fait l’archiduc autrichien Ludwig Salvatore von Habsburg-Toskana (1899).
Tout cela pour dire qu’il est difficile d’imaginer qu’une ville qui « donne le ton » sur un plan intellectuel et religieux pendant plusieurs siècles à l’échelle du Maghreb n’ait pas rayonné à l’échelle de son arrière-pays immédiat qui lui fournit pourtant une partie non négligeable de son élite savante (Al Ghubrînî s.d. ; Urvoy 1976 ; Brunschvig 1947). En évacuant un moment-clé (et un long moment) de l’histoire de la Kabylie, on aboutit à l’occultation d’un aspect fondamental, à savoir son lien à la ville et même aux villes (Achir, Qal’a, Béjaïa, Alger, Dellys, Jijel, Tunis, Mahdya…) et on conforte ainsi, bien entendu, sa représentation comme un isolat. Cela, bien sûr, n’est pas sans effets sur la connaissance de l’histoire de ses structures socio-politiques comme de son histoire religieuse.
Que l’on se situe dans la logique de la ré-appropriation du mythe kabyle ou dans celle de sa dénonciation, la seule relation à l’État qu’on prend en considération pour la nier ou l’affirmer est la relation à l’État étranger, turc ottoman ou colonial français. Or ce qui peut le mieux nous renseigner sur ce type de rapport, c’est l’histoire du lien aux États produits par la société autochtone. Le miracle Rahmânya se clarifierait et on comprendrait pourquoi son territoire, tel qu’il apparaît lors de l’insurrection de 1871, rappelle celui des Hammadites. Maraboutisme et « Tijmain » des républiques villageoises seraient alors à interpréter non pas comme les marqueurs d’une absence de l’État, mais peut-être comme des précurseurs d’un renouvellement politique interrompu.
Pour nous résumer, la singularité kabyle d’aujourd’hui, si elle doit quelque chose au mythe kabyle, n’en pose pas moins le problème des bases cachées de ce mythe. Si par exemple, cet autre miracle évoqué par Fanny Colonna, « le miracle kabyle » de la réussite de l’École française, a pu avoir lieu, ce n’est pas seulement parce que les Français en avaient besoin idéologiquement. Si la Kabylie s’est scolarisée en français avec succès, c’est peut-être tout simplement qu’elle l’avait fait pendant des siècles en arabe. Elle était en quelque sorte préparée. Mais changeons de perspective pour nous en rendre compte.
Guenzet… au bout du monde
Entre les villes de Sétif et Béjaïa, dans la partie occidentale et berbérophone du massif du Guergour, se situe Guenzet, modeste chef-lieu du territoire de la tribu des Ath Ya’la. Leurs voisins du village de Harbil raillent les Guenzatis pour leur situation excentrée et considèrent celle-ci comme une punition divine pour leur mauvaise langue. Quand les hivers sont rudes et qu’il neige normalement, Guenzet peut aujourd’hui encore se trouver dans un isolement presque total. À tel point qu’un récit du xixe siècle d’une expédition punitive contre les Ath Ya’la parce qu’ils avaient hébergé le chérif insurgé Boubaghla, montre toute l’hésitation des troupes françaises à aborder ce territoire du bout du monde.
Cet isolement fait apparaître comme plutôt paradoxal le portrait qu’en trace E. Carette (1848) dans Études sur la Kabylie proprement dite : on trouve à Guenzet, dit-il, des maisons à étages construites sur le modèle de celles d’Alger. Il y a plusieurs mosquées, dont une à minaret. Certains ménages guenzatis ou ya’laouis ont une vaisselle en cuivre, des domestiques, voire exceptionnellement des esclaves. Il y a enfin un artisanat actif et un marché hebdomadaire fréquenté par différentes tribus, voire par des gens venant de ce que les Ath Ya’la appellent « Tamurt n waraben » (« le pays des Arabes »), c’est-à-dire le versant arabophone du Guergour ou les plaines du Sétifois.
Tout comme leurs voisins proches Ath Wertirane ou Ath ‘Abbas, les Ath Ya’la ont un fondouk à Constantine et même, selon certains témoins, dans la lointaine Mascara à l’ouest. Ces tribus ne sont pas les seules de la région à avoir une vocation à s’exporter. La toponymie précoloniale nous révèle l’existence d’un djame’ des Ath Chebana à Alger, les célèbres Ath Melikeuch auraient même été les compagnons de Bologhîn Ibn Zîrî lors de la fondation d’Alger au Moyen-Âge. La pratique de l’« acheyed », qui mélange colportage, troc, travail saisonnier et activités d’enseignement de l’arabe et du Coran est encore dans les mémoires.
À y regarder de plus près, on voit d’ailleurs bien que le massif du Guergour se situe presque en droite ligne, à mi-chemin entre la première et la deuxième capitale du royaume médiéval hammadite : la Qal’a des Béni Hammâd et Béjaïa. Non loin de là, se trouve aussi Achir, la première capitale ziride, Gal’a ou la Qal’a des Ath Abbès (les Labbès des sources espagnoles) et la Medjana, fief des Mokrani. Ici passe le Triq essoltane (la route royale du Moyen-Âge, la route de la Mehalla).
Selon Ibn Khaldûn, les Ath Ya’la seraient partis de la Qal’a des Béni Hammâd, fuyant les Hilaliens vers la fin du xie siècle (Gaïd 1990 ; Féraud 1868). Mais la région semble avoir connu une occupation humaine très ancienne et le massif du Guergour n’a pas manqué d’être la destination d’archéologues antiquisants (Leschi 1941). La tribu, comme toutes les tribus, est une longue histoire faite de mélanges et d’agrégations successives, d’éclatements aussi.
Le deuxième auteur à évoquer les Ath Ya’la est un homme du xvie siècle. Il s’agit d’Al Marînî, dont le texte est retrouvé par Laurent-Charles Féraud, justement à Guenzet, dans la famille maraboutique des Aktouf. L’ouvrage est en quelque sorte une parole intérieure qui polémique ni plus ni moins avec Léon l’Africain, Marmol et autres sur leurs versions de l’occupation de Béjaïa par les Espagnols. Al Marînî (1868) y relate le récit de la destruction et du pillage de la ville, la résistance à l’occupation et évoque l’exode de ses habitants, dont de nombreux Andalous, réfugiés dans les montagnes kabyles, notamment chez les Ath Ya’la mais aussi chez les Zouaouas.
Le troisième texte date du xviiie siècle. Il s’agit de la fameuse Rihla d’Al Warthilânî, récit de voyage à La Mecque et chronique de la situation politique de la Kabylie à cette époque. Si on le redécouvre aujourd’hui, les lectures qu’on en fait laissent parfois perplexes. Elles servent à mettre en exergue une « tiédeur religieuse » propre à la Kabylie, là où l’auteur montre que cette tiédeur est plutôt bien partagée, s’époumonant, comme le montre de façon détaillée Sami Bargaoui, à dénoncer certaines « libertés » combattues par Ibn Tumert en son temps, aussi bien à Béjaïa que chez les Iwendajène d’Amizour, à Guenzet, sur le mont Boutaleb, à Sétif, dans le bordj turc de Zemmoura, chez les Oulâd Naïl, dans l’actuelle Tunisie… et même à Médine, c’est-à-dire aussi bien en territoire arabophone que berbérophone, citadin que rural, maghrébin qu’oriental.
Ce qu’on a, par ailleurs, tendance à lire comme la confirmation de perpétuels conflits entre les soffs, où il intervenait comme marabout intercesseur, et donc comme soi-disant élément extérieur à la société kabyle, nous semble aussi peu convaincant. Al Warthilânî, acquis aux Turcs (contrairement à son père, semble-t-il, qui refusait de faire la prière derrière un imam payé par la Régence), s’en va pacifier la Kabylie pour l’amener à l’obéissance, après une fetwa des ‘ulamas de Béjaïa, qui rendait cette mission obligatoire pour tout ‘alem. Ce qu’il décrit, ce sont les divisions qui touchent y compris les lignages maraboutiques et les zaouias dans un processus de reconfiguration, de renégociation de la médiation entre le pouvoir central et les sociétés locales, nous semble-t-il.
Ce qu’il négocie, c’est aussi, comme le rappelle Bargaoui, sa propre place dans le processus en cours. Il suffit de repenser à l’importance du comité d’accueil qui vient à sa rencontre à l’entrée de Béjaïa pour s’en convaincre. Il y a là cadi et caïd, mais il y a surtout, les descendants des Mokrani de Béjaïa, ceux dont l’aïeul a transporté sa zaouia du village d’Ama’dan vers la ville, à la demande des Turcs. Les Mokrani règnent depuis sur la karasta, ou exploitation des bois de forêt pour le compte de la flotte turque (Féraud 1868-1869). C’est dire que les enjeux tant matériels que symboliques sont fondamentaux dans la démarche de ce « réformateur ».
Ce qu’il nous donne à voir en tout cas, c’est un maillage plutôt serré du réseau des zaouias en Kabylie, à un moment décrit généralement comme celui où la naissance de la Rahmânya permet la naissance de cette région à l’universalité islamique.
Le Kabyle écrivant ou « la montagne savante »
Qui dit réseau de zaouias, dit usages et circulation de l’écrit, points d’ancrage de cultures lettrées. Un de ces points d’ancrage, connu comme tel jusqu’à nos jours, est « beldat » Guenzet et plus largement le territoire des Ath Ya’la, où circule cet adage « Au pays des Béni Ya’la, poussent les ‘ulamas, comme pousse l’herbe au printemps ». Certains auteurs, comme Al Mehdi Bouabdelli, n’hésitent pas à comparer le niveau d’enseignement chez les Béni Ya’la à celui de la Zitouna et des Qarawiyine.
Comment et pourquoi de tels points d’ancrage se constituent-ils en montagne ? Jacques Vignet-Zunz nous semble avancer un modèle explicatif tout à fait applicable à la Kabylie. Étudiant la communauté des Jbala du sud-ouest marocain, il évoque :
– la proximité « d’une vieille couronne urbaine remontant souvent à l’Antiquité et en tout cas à l’époque de l’étroite communication avec Al Andalus » ;
– le recours à ces montagnes comme lieux de refuge par des princes idrissides abandonnant Fès dans des moments de crise ;
– la retraite qu’y opère le « Qutb » Mulay Abdeslem Ben Mechich « introducteur du mysticisme au Maroc » ;
– le djihad et la littérature à laquelle il donne lieu, face aux Portugais et aux Espagnols, et qui permettra l’ascension de nouveaux chérifs, avec attribution « d’Azibs » et de « Horms », fiefs comportant des mesures d’exemption d’impôts.
S’appuyant sur les travaux de L. Fontaine (1990, 1993), Vignet-Zunz (1994 : 206) propose aussi une explication économique des origines de l’implantation de l’écrit dans ces milieux montagnards : « … [i]l semble y avoir des indices concordants, de part et d’autre de la Méditerranée (et parfois assez loin en arrière de ses rivages), non pas d’une affinité précise entre l’altitude et l’ascèse de l’étude, mais d’une intense relation, en un temps T, entre une montagne et des cités proches (née d’un enchaînement de facteurs, notamment la demande forte, à un moment du passé de ces régions, de produits de la montagne ou en transit par la montagne…) créant les conditions d’une implantation de l’écrit là où on ne l’attendait pas nécessairement. »
De la couronne urbaine datant de l’Antiquité à l’étroite communication avec Al Andalus, à l’usage des montagnes kabyles comme refuges par des élites de tout ordre durant les périodes de crises ou de guerres, à la présence d’un Qutb (le saint Sidi Boumédiène), à l’existence d’une littérature du djihad face notamment aux Espagnols et à l’émergence alors de nouveaux chérifs, tout correspond à la situation de la Kabylie pré-ottomane. Tout, y compris la relation économique impliquant un usage de l’écrit.
Si l’on admet que la montagne kabyle, comme les autres montagnes de la Méditerranée, a été « indispensable à la vie des villes, des plaines » (Braudel 1990 : 50), que la faim montagnarde a été « la grande pourvoyeuse de ces descentes… [permettant de renouveler] le stock humain d’en bas » (ibid. : 52), que depuis le Moyen-Âge au moins, elle fournit à l’État à Tunis ou à Béjaïa des migrations militaires, car « toutes les montagnes, ou peu s’en faut, sont des “cantons suisses” » (ibid. : 53, 445 n. 116) ; si tout simplement l’on admet que la Kabylie a eu ses villes, ses liens aux villes et en particulier à Béjaïa, Dellys, Alger (et des villes de moindre importance, qu’on hésite à considérer comme telles), où elle exporte son surplus humain, ses matières premières venues de ses mines et carrières, où elle écoule les ressources décrites par Al Idrissi pour le Moyen-Âge par exemple, comme elle écoule à partir du xviiie siècle le bois de ses forêts pour les besoins de la flotte ottomane. Si l’on admet que les assemblées villageoises sont peut-être la preuve du contraire de ce qu’on leur a toujours fait dire, à savoir, qu’elles sont justement la preuve de l’existence d’une relation en mutation à l’État et à d’autres formes de centralisation politique (ce dont l’arabisation des noms de fonctions dans les Tajmat, pourrait témoigner) ; que le miracle « Rahmânya » est un moment certes important mais qui se situe dans une histoire religieuse antérieure longue de plusieurs siècles, un autre rapport peut alors aussi être dépoussiéré : le rapport à l’écrit.
Piégés par les effets du « mythe kabyle » qui divisent les lecteurs de la Kabylie en deux grosses catégories, ceux qui la surévaluent et ceux qui la sur-dévaluent, nous avons bien du mal à objectiver nos interrogations les plus élémentaires et à ne pas développer des « attentes » contradictoires envers cette région, attentes conformes aux représentations positives ou négatives dépréciatrices, comme le souligne Kamel Chachoua (2002).
S’accorder à dire, par exemple, en reprenant un modèle de Jack Goody, que la Kabylie a été un lieu de « scripturalité restreinte » interpelle, tant il nous semble tomber sous le sens : il est normal qu’un pays montagneux, rural, ne soit qu’un lieu de scripturalité restreinte avant le xxe siècle, avant la démocratisation de la scolarité somme toute bien récente à l’échelle universelle. Peut-être faut-il prendre les choses exactement dans le sens inverse et s’étonner positivement que, dans de telles conditions, il ait pu exister une culture lettrée et une pratique de l’écrit, dont nous avons tenté d’esquisser plus haut une explication des origines probables et qui reste à évaluer précisément et objectivement.
Plusieurs pistes s’offriraient aux chercheurs qui tenteraient cette évaluation. Si l’on s’en tient au Guergour, on peut par exemple noter l’étonnement des rapporteurs chargés de rédiger les procès-verbaux de la délimitation des territoires des différentes tribus de la commune, lors de l’entrée en application du Sénatus-consulte. Ces rapporteurs relèvent que la quasi-totalité des propriétaires ont des actes écrits et des contrats rédigés le plus souvent par des lettrés locaux ou par des cadis.
On peut rappeler tout l’intérêt de la bibliothèque du Cheikh Lmuhub, exhumée par les chercheurs de l’université de Béjaïa, Djamel-Eddine Mechhed et Djamil Aïssani, au milieu des années 1990. Non seulement le fonds étonne par la quantité des manuscrits (près de 500) qui le composent, mais aussi par leur variété. On y trouve entre autres, comme le soulignent les deux chercheurs, les traces d’un système de prêt et d’échange avec les ‘ulamas des localités environnantes. On y trouve un fonds de correspondance et même un manuscrit en berbère, outil pédagogico-ludique destiné aux enfants et servant à faire la transition entre l’usage de la langue maternelle et celui de la langue d’enseignement ; un cours de langue syriaque, des chroniques historiques locales à côté des classiques traités de fiqh, adab, astronomie, mathématiques, botanique, médecine, etc.
On peut aussi s’arrêter à l’usage curieux dans un tel cadre spatio-temporel, d’un terme spécial pour désigner les bibliothèques aussi bien dans le sens de meuble destiné à ranger les livres, que dans le sens (chez les cheikhs les plus aisés) de pièce consacrée aux livres et à l’étude. En effet, à Guenzet certaines familles recourent au terme de Tarma (avec un t emphatique) pour nommer la bibliothèque. Or voilà un mot qu’on retrouve en usage de l’Irak au Pérou dans des significations proches de meuble ou de pièce ou maison en bois, dont l’origine semble latine (tarum : bois d’aloès) et qui, dans l’arabe marocain, signifie aussi « placard à rayons et deux battants pratiqué dans l’épaisseur du mur » ou « grande armoire ».
Que ce mot soit arrivé dans les bagages de réfugiés andalous ou de lettrés béjaouis (Al Warthilânî, par exemple se dit descendant du saint Sidi Ali Al Bekkaï et est lié par des alliances matrimoniales aux descendants de Sidi Mhand Amokrane, saint patron de la ville), ou encore par des acteurs locaux dans leurs échanges ou déplacements ; qu’il soit le fruit d’échanges avec la garnison espagnole, peu importe. Il constitue de toute façon un indice de l’existence d’un lien au monde, au-delà des frontières de « Taddart ».
Ce lien au monde et à la ville est confirmé par cet art du Guergour, art de synthèse entre les formes géométriques berbères et les motifs arrondis et floraux, qui a surpris Lucien Golvin (1955) dans son étude sur le tapis de cette région. Si Golvin privilégie l’influence de la lointaine Anatolie, Louis-Robert Godon (1996), dans son étude sur les portes et coffres des Ath Ya’la, regarde vers Béjaïa, dont le nom est d’ailleurs porté par des pièces de ces produits (serrures et cadenas de Bougie), ou vers Tunis et le sud de l’Espagne !
On peut encore lire un indice de ce lien dans ces épées retrouvées dans la mosquée de Tiqnicheout et rapportées, selon Féraud, par des guerriers des Ath Ya’la qui avaient participé à la défense de la ville côtière de Jijel contre une attaque normande. Il est dans l’existence d’une communauté d’orfèvres juifs à Taourirt n Ya’qub (la colline de Jacob) qui ne quittent les lieux qu’en 1850 (Bel 1917 cité dans Godon 1996 : 90). Il est aussi dans les chansons et poésies populaires et pour Béjaïa dans les paroles de Chérif Kheddam « Bgayeth telha, d erruh n leqbayel » (« Béjaïa est belle, elle est l’âme des Kabyles ») !
Il faut simplement se retenir de ne voir dans ces montagnes qu’un vaste réceptacle et regarder leur lien à l’extérieur dans une logique d’interaction. Ainsi, en évoquant ici l’Andalousie, nous n’entendons nullement, comme le veut un usage trop courant, affirmer l’idée que tout principe actif et fécondant est forcément allogène, ni conforter l’image d’un Maghreb ou d’une Kabylie dont la compétence ne dépasserait pas la capacité d’assimiler et de reproduire des apports extérieurs. Si toutes ces nuances et bien d’autres sont introduites, on peut alors mieux distinguer ce qui ressort d’une histoire politique contemporaine et ce qui ressort de « permanences » culturelles. Ainsi la revendication moderne de laïcité ou de sécularisation par exemple pourrait s’affranchir de la référence à une prétendue tiédeur religieuse traditionnelle. Elle ne pourrait qu’y gagner, car à nos yeux, elle n’a pas besoin de justifications par une présence endogène ancienne (osons le mot : traditionnelle), pour exister aujourd’hui et être légitime, d’autant qu’une lecture fine de l’histoire de ce stéréotype pourrait nous montrer qu’à l’origine il pourrait s’agir d’un moyen de stigmatisation par le pouvoir central turc pour justifier son action contre la région. Cette revendication a encore moins besoin d’être portée comme un signe distinctif de la Kabylie par rapport au reste de l’Algérie ou du Maghreb pour être audible, ce qui, bien entendu, n’est nullement à lire comme la négation de toute singularité.
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Notes
1 Exégètes, jurisconsultes, théologiens.
2 Dans sa contribution intitulée « La citadinité, une notion impossible », le sociologue urbaniste Rachid Sidi Boumédiène (1998) analyse les usages idéologiques de la notion de « citadinité » dans les conflits urbains en Algérie.
3 Je nuancerais ce point de vue après avoir écouté l’historien moderniste tunisien Sami Bargaoui. Étudiant les évolutions dans les modes d’auto-désignation chez des groupes citadins tunisois d’origine turque en voie de tunisification, Bargaoui constate chez eux et chez les autres groupes de la ville une valorisation de l’autochtonie dans la définition de soi dans la Tunisie du xviie et xviiie siècles. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une référence à l’autochtonie berbère passée dans l’oubli. Bien entendu la revendication d’une origine extérieure (et donc conquérante) n’est pas une pratique propre aux sociétés maghrébines. Pour la France, par exemple, jusqu’à la révolution, comme le souligne Anne-Marie Thiesse (1999), il était de bon ton dans les milieux de la noblesse de s’attribuer des ancêtres francs. Cette thèse est alors délégitimée, parce que l’idée de la nation comme communauté originelle du peuple s’impose.
4 Alors qu’on peut parfaitement par exemple s’interroger sur le rapport entre la « tirugza » kabyle et la « redjla » des villes comme Alger (les deux termes renvoient à la notion de « sens de la virilité »).
5 Litt. ville de l’histoire, ville historique.
6 L’impression de surinvestissement se trouve amplifiée par le sous-investissement qui touche les autres régions de l’Algérie ou du Maghreb. La singularité en paraît si imposante, qu’elle interdit tout travail comparatif sur des objets communs.
7 Dans sa thèse, Alain Mahé (2001) fait le point sur les théories et les travaux qui ont pris la Kabylie comme objet depuis le xixe siècle.
8 En 1980 avait eu lieu, ce qui avait été appelé « le printemps berbère », mouvement revendiquant la reconnaissance des langues populaires, dont le berbère, et des libertés démocratiques en Algérie. Ce mouvement était né en réaction à l’interdiction d’une conférence de l’écrivain défunt Mouloud Mammeri à l’université de Tizi Ouzou. En 2001, à l’approche de la date anniversaire du printemps berbère commémorant le 20 avril 1980, l’assassinat du jeune Guermah Massinissa dans une caserne de la gendarmerie, déclenchait ce qui a été appelé « le printemps noir », qui a donné naissance au mouvement dit des « ’arouchs » (plur. de ‘arch), du nom des anciennes confédérations tribales, durement réprimé.
9 Les régions berbérophones se trouvant dans les wilayas de Bouira, Sétif, Bordj Bou Arréridj, Jijel à l’est de l’Algérie, qui faisaient partie de la wilaya 3 historique.
10 Ces configurations nous montreraient qu’Alger, Dellys et ce qu’on appelle la Grande Kabylie représentent les confins occidentaux des royaumes médiévaux hammadite puis hafside. Les deux villes sont l’objet régulier de convoitises par les sultanats ouest-maghrébins almoravide (qui a fondé Dellys), mérinide et zyanide, tout au long du Moyen-Âge. Elles pourraient nous montrer que la Kabylie est envisagée, regardée par ses « découvreurs » du xixe siècle seulement à partir d’un nouveau centre politique (Alger), ce qui condamne à perdre de vue la longue histoire de sa constitution même.
11 C’est le titre de l’ouvrage d’E. Carette (1848).
12 Ce qui semble défendu par la thèse de Ouali Ilikoud (1999).
13 Les premiers auteurs coloniaux parlent d’ailleurs de Kabaïles, voir par exemple Édouard Lapène (2003).
14 Marc Côte (1991) et P.-L. Cambuzat (1986) soulignent que Béjaïa a été prise tardivement.
15 Ce genre d’étymologie est courant et résulte sans doute d’un processus d’appropriation symbolique de l’espace par l’arabisation des toponymes pour légitimer les nouveaux venus.
16 L’arabisant du xixe siècle, Auguste Cherbonneau, considère même que les villages kabyles sont conçus sur le modèle de la Kal’a des Béni Hammâd.
17 Connu comme historien des Abdelwadides de Tlemcen.
18 Igawawen, devient en arabe Zouaouas, dont on tirera le nom de « zouaves », contingents militaires « indigènes » recrutés par les Français aux côtés des « Turcos » et des « Spahis ». Là encore, les Français prolongent une pratique antérieure, puisque les Zouaoua fournissaient des contingents au bey de Tunis.
19 Mais il y a lieu de s’interroger sur le rôle particulier des Belqadi dans la prise et la re-fondation d’Alger au xvie siècle, voire dans sa gestion dans les premières décennies de la régence.
20 Belqadi : litt. Fils du qadi.
21 Litt. juge des juges, fonction équivalente à celle de chambellan.
22 Celle-ci vient rendre visite au sultan mérinide Abu el Hasan qui occupe alors Béjaïa. Brunschvig cite un autre exemple dans la Kabylie des Babors chez les Béni Tlilane, t. 2, p. 99.
23 La Djema’a (assemblée).
24 Considéré comme le saint patron de la ville de Tlemcen, Sidi Boumédiène n’y avait pourtant jamais vécu. Convoqué par le sultan almohade qui avait pris ombrage de son enseignement et s’inquiétait de sa réputation, il est mort sur le chemin au lieu-dit El Eubbad, où se trouve son mausolée construit plus tard par les Mérinides.
25 Brunschvig parle ici des Andalous, bien sûr.
26 Sidi Yahia est à Béjaïa l’objet d’un culte jusqu’au xixe siècle, d’autant plus important comme le souligne Brunschvig, que la ville a été privée de la sépulture de Sidi Boumédiène, t. 2, p. 320.
27 Dans ce contexte, peut être traduit par retraite spirituelle.
28 Pluriel de tajmat, assemblée.
29 Au début du siècle, le pays des Ath Ya’la avait servi de refuge au chérif Benlahrache, membre de la confrérie derqawa et originaire du Maroc, insurgé contre le pouvoir turc. Benlahrache était parvenu à menacer la ville de Béjaïa. Il a été tué par les Mokrani, alors alliés aux Turcs.
30 Dont est originaire Al Warthilânî.
31 Une mosquée.
32 Expédition pour la perception de l’impôt.
33 Ligues, factions.
34 Nous empruntons l’expression à Jacques-Jawhar Vignet-Zunz (1994).
35 La bourgade. Remarquons que la notion même suggère une idée d’urbanisation.
36 Le terme signifie montagnards, mais dans ce cas, comme le terme de Qbaïl, il devient ethnonyme.
37 Pôle, degré supérieur dans la hiérarchie soufie de l’intercession.
38 El Bekri signale déjà au xie siècle la forte présence d’Andalous à Béjaïa. Par ailleurs, les Hammadites ont occupé la Sicile. Notons aussi que longtemps avant l’occupation espagnole, les Andalous chassés d’Europe n’occupent pas tous, loin s’en faut, les premiers rangs et ne s’installent pas systématiquement dans les villes. À Béjaïa, comme l’écrit Brunschvig, nombreux sont ceux qui s’installent en périphérie et même en montagne.
39 Pour rappel, une des figures de ce djihad était Abu Yahia Zakaria Az-zwawi.
40 Il y a fort à parier que les zouaves qui servent le bey de Tunis suivent des voies tracées par leurs ancêtres au Moyen-Âge. Sur les zouaves au service du bey de Tunis, voir Moundji Smida (s.d.).
41 « Dans les montagnes, en effet, se trouvent presque toutes les ressources du sous-sol méditerranéen » (Braudel 1990).
42 Le recours à des termes arabes de amin, amin el umana, tamen (secrétaire, super-secrétaire, garant), kébir (dont les Français feront un lekbir : grand), et la tendance à la disparition des termes kabyles tels l’amoqrane (le grand), le mezouar (équivalent de major, premier amezouar, avec élision du a).
43 Le rôle de l’expansionnisme espagnol dans une telle universalisation nous semble évident.
44 Village, hameau.
45 Une histoire de la colonisation, de la genèse du nationalisme algérien ou encore l’histoire des luttes politiques postérieures à l’indépendance.
46 La lecture d’un des premiers auteurs coloniaux, Joanny Pharaon (1835), nous conforte dans cette idée.
Pour citer cet article
Nedjma Abdelfettah Lalmi, Du mythe de l’isolat kabyle, Cahiers d’études africaines, 175, 2004
http://etudesafricaines.revues.org/document4710.html
2 Réponses à “Du mythe de l’isolat Kabyle”
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bijaia c un belle ville
Qui vous êtes. Blog famillial ou public?pourquoi les photos de tes parents?
Merci de répondre sur le bloc