Réhabilitation du Calendrier agraire amaziɣ (par Djamel Mechehed)
Posté par Rabah Naceri le 8 février 2019
Au cours de notre parcours, il nous arrive de découvrir des chercheurs, des poètes, des écrivains, des génies dans différents secteurs de la vie courante parce que la presse écrite et/ou les médias audio-visuels ont contribué à nous les faire découvrir. Il en est d’autres, discrets voire même très effacés, continuent, avec beaucoup d’humilité, leurs recherches sans trop attirer l’attention des médias.
Aujourd’hui, j’ai envie de contribuer à présenter au grand public un grand Monsieur qui a fait un fabuleux travail portant sur la réhabilitation du calendrier agraire amaziɣ. Il s’agit de notre ami Djamel Mechehed, un enfant de notre wilaya.
Comme nous le savons tous, le calendrier agraire amaziɣ est sérieusement menacé de disparition parce que très peu d’intérêt a été accordé par les pouvoirs publics à ce trésor de la culture et de la civilisation millénaire amaziɣ. C’est sur la base de ce constat que notre ami Djamel Mechehed a décidé de s’investir sur ce projet qui lui a pris près de dix (10) années de recherches en s’appuyant sur des manuscrits inédits et le riche enseignement de feu son père, at-irham rebbi.
———————–
Je vous reprends ci-dessous le contenu intégral du document qu’il a bien voulu me transmettre et pour lequel je le remercie vivement;
Le calendrier amaziɣ
Les amaziɣ antiques avaient un calendrier agraire basé à la fois sur les changements des saisons et les différents cycles de la végétation. En effet, la connaissance du climat et sa prévision occupent une place importante chez les amaziɣ en termes de savoir-faire (l’observation astronomique, de la mesure du temps, du système d’organisation des activités agraires, de proverbes et de dictons, l’hygiène de vie, la diététique, le codage mnémonique du calendrier, etc).
L’année est divisée en quatre-saisons, et composé de 365 jours et 1 /4, la division de l’année est probablement inspirée du calendrier Alexandrin. A l’arrivée des Romains, un autre calendrier solaire, dit Julien, allait se substituer au calendrier autochtone de l’Afrique du Nord, avec la réforme julienne (par Jules César en 46 avant J.-C).
Il faut rappeler que les noms des douze mois de l’année, des deux calendriers, agraire et savant berbéro-maghrébin sont dérivés du calendrier latin : Yennayer, (Januarius), Furar (Februarius), Meyres (Martius), Yebrir (Aprilis), Mayu (Maîus), Yunyu (Junius), Yulyu (Julius), Ġuct (Augustus), Štembeṛ (September), Utubeṛ (Otober), Nunbeṛ (November), ḏuǧembeṛ (December).
Dans la tradition orale amaziɣ, notamment de Kabylie, le découpage des saisons est bien ancré dans la mémoire collective. Les cycles sont accompagnés de rites et cérémonies, divisés en saisons et sous-saisons, avec leurs noms amaziɣ, en fonction des couleurs de la végétation, du ciel et du froid.
Pour permettre de mémoriser les cycles des saisons avec précisions pour les agriculteurs, on emploie des dictons populaires, on dit par exemple des pluies de Yennayer (s’il n’y a pas de pluies au début, ça sera dans les derniers):
« Mur yewwit s imezwura ad yewwet s ineggura ». On dit des nuits froides (Lyali) : « Ur tamen lyālī ma ṣaḥant ur tamen timɣarin ma tzalant ». Traduction : ne fait confiance aux nuits froides si elles sont dégagées ni à des vielles femmes même quand elles font la prière. « Furar ma yefagh d aghrar heyim tighrar »; ( Si le mois de Furar (Février), arrive avec une sécheresse, préparez vos paniers ). C’est-à-dire s’il vient avec cette façon, cela veut dire qu’il y aura une bonne récolte.
————————-
Mémorial du calendrier agraire Amazigh :
Sauvegarde et valorisation des savoirs et savoir-faire menacés de disparition
Le projet de réalisation d’un mémorial (une fresque ou une table d’orientation) que je propose aux associations et aux autorités sur le calendrier agraire amazigh dans un espace public, vise la réhabilitation de ce patrimoine culturel immatériel plusieurs fois millénaire. Il permettra de répondre à une forte demande de notre population pour sa sauvegarde et sa réhabilitation (voir par exemple les plus anciens comptes rendus de nos conférences sur le calendrier, à travers le pays depuis 2003 :
- https://www.depechedekabylie.com/cuture/171718-les-berberes-nutilisaient-pas-que-leur-instinct.html.
Nous avons constaté durant ces rencontres que seuls quelques agriculteurs et des personnes âgées maitrisent l’usage. Depuis une vingtaine, voire une trentaine d’années, l’usage du calendrier agraire amazigh est de moins en moins employé et menacé de disparition, par les progrès technologiques, et le fossé qui se creuse entre nos générations. C’est au cours de ces communications et sur la base de notre constat qu’est née l’idée de composer le calendrier agraire amaziɣ.
Afin de réhabiliter ce calendrier menacé de la disparition, le mémorial a plusieurs objectifs, notamment la création d’un débat intergénérationnel, autour de ce calendrier, la transmission du savoir-faire ; la sensibilisation du public sur la nécessité de sa sauvegarde, la relance du dialogue sur la problématique de la transmission des savoir-faire intergénérationnelle à celle de la sauvegarde de la culture et des valeurs. Sa vocation est une contribution majeure à ces idées et le mémorial favorisera l’implication effective de la société civile.
Et pour créer aussi un instrument de travail aussi complet que possible, à l’usage de tous chercheurs, qui désirent approfondir leurs recherches sur le sujet.
Le calendrier agraire amaziɣ est une source d’un savoir coutumier très riche, où les fêtes sont exclusivement agraires ; et il n’est pas seulement coutumier, festif et agraire, mais il est aussi un système d’organisation sociale.
Dans notre publication (à paraître) nous avons présenté le calendrier agraire amaziɣ, avec tout ce qu’il contient, d’observation astronomique, de la mesure du temps, du système d’organisation des activités agraires, de proverbes et de dictons, l’hygiène de vie, la diététique, le codage mnémonique du calendrier, etc. Sur la base de manuscrits inédits et de ce que mon père m’a appris à son sujet, notamment les techniques de calcul du calendrier, hérités de son père et de son arrière-grand-père Lmuhub Ulahbib (XIXe siècle) qui a rédigé un almanach sur le calendrier agraire conservé aujourd’hui dans notre collection.
Certainement, notre travail comporte des lacunes, voir des erreurs. En revanche, pour en évaluer l’intérêt, il suffit de dire que ce travail a été réalisé sur la base de manuscrits inconnus et inédits.
Ce projet a été proposé à l’association Tadukli Ighil H’Mama de Seddouk, (des travaux ont été entamés dans le cadre des festivités de Yennayer 2019), le projet a été également proposé à la direction de la culture de Bejaia et au haut commissariat à l’amazighité HCA.
Ce travail sur le calendrier paraîtra dans le prochain numéro de la revue Etudes et documents berbères.
- MECHEHED Djamel., « La codification mnémonique du calendrier savant- berbéro-maghrébin dans les manuscrits du Maghreb ». In : Etudes et documents Berbères. N°39-40-2018, pp 155-187.
Et une consacrée à ce calendrier (à paraître dans les prochain mois).
Publié dans 3. CULTURE & EDUCATION | Pas de Commentaire »